Voir l’au-delà L’expérience visionnaire et sa représentation dans l’art italien de la Renaissance

Auteur : Andreas Beyer (université de Bâle), Philippe Morel (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Alessandro Nova (Kunsthistorisches Insitut in Florenz) (dir.)
Éditeur : Brepols
Date de publication : septembre 2017
Laboratoire : CESR – UMR 7323
 

À l’âge du triomphe de l’historia et de la mimésis, où « ce qui ne relève pas de la vue ne concernerait en rien la peinture », la vision de l’au-delà a néanmoins très largement occupé la réflexion et la création artistiques, y compris dans l’art italien qui a été bien moins étudié selon ce point de vue, que ne l’ont été l’art flamand du XVe siècle ou l’art espagnol du XVIIe siècle. On a notamment cherché à comprendre comment des paramètres théologiques et iconographiques d’origine patristique ou médiévale ont pu être intégrés et reformulés par le langage artistique de la Renaissance, à commencer par les modélisations de la vision religieuse définies par saint Augustin et par saint Thomas d’Aquin, la distinction opérée entre vision corporelle, vision spirituelle (ou imaginative) et vision intellectuelle étant centrale pour ces recherches. L’expérience visionnaire a été abordée en particulier selon le rapport varié et parfois gradué du ou des sujets à l’objet de la vision surnaturelle ou transcendante, et suivant l’analyse de dispositifs figuratifs visionnaires qui fonctionnent ostensiblement comme des invitations ou des apprentissages pour la contemplation.

S’engageant sur des visions infernales et angéliques, les premières contributions s’attachent à la doctrine platonicienne des véhicules de l’âme, à la vision dantesque de l’au-delà, à la musique des anges et aux effets spirituels du colloque angélique de Gabriel et de Marie. Les degrés et modalités de la vision mystique sont ensuite pris en considération à travers les exemples majeurs de saint Bernard, de saint Thomas d’Aquin et de saint Augustin, la représentation de leurs expériences visionnaires pouvant être interprétée à la lumière de leurs écrits sur le sujet, tandis que le cas particulier du tétragramme illustre une formule plus abstraite et aniconique de la vision de Dieu. Aux antipodes de ces approches très élaborées et parfois bien codifiées, les visions populaires relèvent d’expériences qui se veulent beaucoup plus concrètes et témoignent de l’importance sociale des images miraculeuses dans le rapport au divin, et si les images peintes en viennent souvent à alimenter l’imaginaire visionnaire, elles en font de même avec les fantasmes apocalyptiques et eschatologiques. D’autres études analysent précisément les dispositifs visionnaires selon lesquels les artistes agencent une communication réflexive avec et dans l’image, un parcours étagé et ascensionnel du regard, une indétermination spatiale, un feuilletage des plans ou d’autres effets plastiques de mise à distance. La construction de la vision induit parfois une ambiguïté quant à la position et au statut du visionnaire, ainsi qu’une circularité des regards entre spectateur et personnage figuré. Il est aussi question des conditions de visibilité des images qui, dans certains cas, participent au dépassement de la vision corporelle pour une contemplation spirituelle.

Table des matières

Philippe Morel – Introduction

Première partie : Visions infernales et angéliques

Stéphane Toussaint – Voir l’enfer ou l’âme dans l’Hades, de Platon a Ficin, Michel-Ange et Rosso

Theresa Holler – Dante’s Verbal Images and Their Pictorial Afterlife: Visualizing the Otherworldly Space in Terni and Orvieto

Klaus Krüger – Visions of Inaudible Sounds: Heavenly Music and Its Pictorial Representations

Christian K. Kleinbub – On the Annunciations of Michelangelo and the Bodily Mechanics of the Visionary

Deuxième partie : La vision mystique et ses modalités

Philippe Morel – Introduction a la contemplation spirituelle : la Vision de saint Bernard de Filippino Lippi a Fra Bartolomeo

Ralph Dekoninck – Visio intellectualis vel sensualis : la vision napolitaine/parisienne de saint Thomas d’Aquin d’apres Santi di Tito

Victor Stoichita – De quelques dispositifs télépathiques : Vittore Carpaccio a la Scuola degli Schiavoni de Venise

Frédéric Cousinié – Vision du Nom en Gloire : aléas du Tétragramme (xve-xviiie siecles)

Troisième partie : Visions populaires et prophéties

Megan Holmes – Visions and “Popular” Visual Experience

Ottavia Niccoli – Immagini e visioni tra Rinascimento e Controriforma: due esempi

Gwladys Le Cuff – En deça et au-dela de l’autel : le livre-relique de la chappelle Borgherini et la vision béatifique selon l’Apocalypsis nova

Quatrième partie : Dispositifs visionnaires et vision mariale

Emanuele Lugli – The Collapse of Representational Planes: On Giovanni Bellini’s San Giobbe Altarpiece

Maurice Brock – La place du spectateur dans la Pala Gozzi de Titien

Marianna Lora – Comment voir l’au-dela : la Vision d’après saint Jérôme de Parmigianino

Benjamin Paul – Visual Epistemology: Dosso Dossi’s Representation of the Immaculate Conception

Cinquième partie : Construire la vision

Cyril Gerbron – Voir ou ne pas voir ? Expériences de vision au couvent San Marco de Florence

Guillaume Cassegrain – Voir celui qui voit : la mise en scene de la vision dans la peinture vénitienne du Cinquecento

Peter Dinzelbacher – Autoillustrations of Visionary Experiences: A Preliminary Historical Sketch

Sylvie Barnay – Sarkis et Mantegna : postmodernité de la vision prémoderne