Séminaire "Le document sonore" : Prélever les musiques du monde : performativités de la transcription solfégique et de l’enregistrement sonore

Date : 26/06/2014
Lieu : Hall Est, quai François Mauriac - Paris, 13e arrondissement - Tour 3 - Niveau 4 - Salle de réunion


La prochaine séance du séminaire “Le document sonore” organisé par le Laboratoire Ligérien de Linguistique (LLL), en partenariat avec le TGIR Huma-Num et le Département de l’Audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France se déroulera jeudi 26 juin de 14h00 à 16h00.

Cette séance sera exceptionnellement accueillie à la BnF
Hall Est, quai François Mauriac – Paris, 13e arrondissement – Tour 3 – Niveau 4 – Salle de réunion

Intervenant : Denis Laborde (CNRS, EHESS)

Dans son Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil (1578), Jean de Léry transcrit un chant des Tupinambas qui est un chant bitonique. Il écrit en clé d’ut première, avec un si bémol à la clé et transcrit sur les deux notes, fa et sol (éd. 1611). Pour éviter tout anachronisme, on ne dira pas fa majeur. Si “l’histoire commence avec le geste de mettre à part” (Michel de Certeau), quel est donc ce geste qui “met à part” un chant tupinamba ? Parmi bien des entrées possibles sur cette thématique, j’envisage ici la question de la légitimation.
La légitimation joue à deux niveaux.
Premier niveau : Léry légitime cet énoncé oral en en faisant “de la musique” par la transcription ou, si l’on préfère, en la portant à une dignité de musique au regard de ses contemporains. En transcrivant ces deux notes avec cette armure qui nous encombre, il montre à ses contemporains qu’en la terre de Brésil, les indiens Tupinambas font “de la musique” au même titre que “nous” en faisons en Europe. En ce sens, il raisonne avec la Musique exactement comme le fait Montaigne avec le Cannibalisme: une distanciation critique qui passe par un effort d’empathie.
Second niveau : En transcrivant des mélodies de cette manière, il montre que les Tupinambas font une musique simpliste. Comment comparer cette mélodie telle que transcrite ici avec la musique de Thoinaut Arbeau, Victoria, Tallis, Guerrero, Gervaise ou Bird ? Donc, en même temps qu’il nous montre que les Tupinambas font de la musique, il montre qu’ils font une musique qui, comparée à “la nôtre”, est d’une extrême simplicité (pour ne pas dire: primitive). L’épreuve de qualification est inséparable de la performativité du geste.
L’écriture est une instance de légitimation des musiques de l’ailleurs en même temps qu’un instrument de classification de ces musiques : l’outil où se lit une ontologie des musiques du monde.
Je propose de nous interroger “sur la portée de cette parole instituée en lieu de l’autre, et destinée à être entendue autrement qu’elle ne parle” (Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 216). Ce décalage entre la production de la parole et la transposition ailleurs de son écoute est le lieu de l’ontologie. Le fait d’inscrire cette prière sur une portée à cinq lignes sous la forme d’une mélodie transforme cette prière en “de la musique”. En même temps, cette transcription étend le champ de la musique: la musique devient la chose au monde la mieux partagée…  On fera ici référence au témoignage magnifique de Jaume Ayats chez les Pumés du Venezuela (in D. Laborde (éd.) Tout un monde de musiques, Paris, L’Harmattan).

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Toutes les informations sont à retrouver sur le site du LLL

et le carnet de recherche dédié au séminaire.